C'est un bon moment que celui où la ville glisse dans les yeux. A chaque regard on a le sentiment d'apprendre un mot nouveau, que la langue devient familière; parce que les rues sont des phrases, ponctuées de passants, accentuées d'ombres et que, l'une après l'autre, on est moins un étranger. On se met à parler, sourire, sans même s'en rendre compte. Peut-être est-ce seulement l'oeil qui pétille... Mais qui donc a l'esprit assez terne pour ne pas comprendre un oeil qui brille, qu'il y a de la musique dans une rue pavée, ombrée, qui tourne, monte ou descend ? Moi, ça me fait marcher des heures.
C'est en dialoguant avec la ville que j'apprends à dialoguer avec les gens. C'est la ville qui donne le ton; souvent la distance aussi. Les variations dans la distance sont déterminées par une idée ou une sensation de l'unité des choses. L'unité, restreinte jusqu'à ce qu'apparaisse l'énigme: qu'un élément, par les proportions qu'il prend, devienne la clé d'un paysage musical insoupçonné, d'une partition urbaine ou rurale que seul l'oeil sait jouer et les yeux écouter.